Toutes les voix, vraiment? Jonathan Pedneault ridiculisé en direct à Radio-Canada
J’écris ça en pesant chaque mot.
J’ai hésité, beaucoup. Parce que je suis une travailleuse autonome, parce que j’ai un enfant, parce que je sais que dans ce milieu, une prise de position peut coûter des opportunités et des chroniques sans même qu’on ait à en justifier les raisons. Je suis consciente que nommer ce qui suit risque de me marginaliser à mon tour. Mais je préfère prendre ce risque-là que de me taire devant ce que j’estime être une injustice démocratique.
Jeudi dernier, le 3 avril, j’ai visionné l’entrevue diffusée dans le cadre de 5 chefs, une élection, et je n’arrive pas à passer par-dessus ce que j’ai constaté : un traitement injuste, moqueur à l’égard de Jonathan Pedneault.
Jonathan Pedneault est le co-porte-parole du Parti Vert du Canada. Il a été interrompu, méprisé, tourné au ridicule — en direct, à heure de grande écoute. Des milliers de citoyens et citoyennes ont visionné ce segment.
Il présentait des propositions claires, structurées, loin d’être marginales : réduire les impôts des personnes à faible revenu, aller chercher l’argent là où il est vraiment, chez les plus riches et les multinationales. On ne lui a même pas laissé le temps d’aller au bout de ses phrases. Vers la fin de l’entretien, on l’a coupé net, comme si ce qu’il avait à dire ne comptait pas.
Vers la fin de l’entrevue la co-animatrice et journaliste Céline Galipeau affirme : « Vous proposez des baisses d’impôts qui priveraient le trésor public de 50 milliards de dollars, est-ce que c’est vraiment réaliste? » Or, cette affirmation est factuellement inexacte. Jonathan Pedneault n’a jamais dit cela à aucun moment de l’échange.
Il parlait plutôt d’une redistribution fiscale plus équitable — baisser les impôts pour les revenus modestes, oui, mais en finançant ces mesures par une taxation accrue des grandes fortunes et des multinationales. Réduire la fiscalité en bas, l’augmenter en haut : ce n’est pas une perte sèche pour le trésor public, c’est une proposition de rééquilibrage. La question, posée avec un ton accusateur, repose donc sur une fausse prémisse — ce qui contribue à le décrédibiliser injustement. Ce genre de formulation façonne la perception du spectateur, qui associera à tort une proposition équilibrée à un gouffre fiscal irréaliste.
L’animatrice rit en posant ses questions — à deux reprises — d’un rire qui minimise, qui ridiculise. À un moment, elle tranche : « Vous savez que beaucoup de gens vont trouver que ce n’est pas très sérieux. » Ce n’est pas une relance. C’est un jugement, une fermeture.
Ce qui m’attriste — parce qu’évidemment, il y a de l’émotion là-dedans — c’est que Mme Galipeau est une journaliste chevronnée, dont j’admire profondément le travail. Elle a couvert des conflits internationaux d’une grande complexité, avec rigueur et empathie. Elle a aussi démontré à plusieurs reprises une réelle sensibilité aux enjeux sociaux, notamment en matière de violence conjugale. C’est précisément parce que je reconnais la qualité de son parcours que ce décalage me frappe.
Ce n’est pas juste un déséquilibre de ton, c’est un manquement grave, surtout en période électorale.
Je ne peux m’empêcher de me poser cette question :
Si Mark Carney, Jagmeet Singh ou Pierre Poilievre avait été traité de la sorte — interrompu, tourné en dérision, empêché de développer une idée — est-ce qu’on aurait toléré ça?
Bien sûr que non. Il y aurait eu un tollé. Des éditoriaux, des lettres ouvertes comme celle-ci, des demandes d’excuses.
Pourquoi alors ce deux poids, deux mesures? Il ne faudrait pas qu’on commence à croire que les animateurs et animatrices sont intouchables. Avoir un grand nom ou un long parcours ne dispense personne d’agir avec rigueur, équité, décence. Au contraire, ça vient avec une responsabilité accrue.
Il faut aussi pouvoir nommer que les idées comme celles portées par M. Pedneault dérangent souvent parce qu’elles bousculent un certain confort de classe. Ce confort-là, bien ancré dans certaines institutions médiatiques, influence inévitablement la manière dont on reçoit certaines propositions politiques.
Souvent relégué au second plan et éclipsé par les grands partis dans les médias, le Parti Vert demeure pourtant l’un des seuls à proposer une taxation équitable des multinationales. Dans un contexte où la majorité des formations politiques évitent de s’attaquer aux grandes fortunes, c’est une position qui mérite d’être soulignée. Un rare rappel que l’empathie et la justice fiscale peuvent encore coexister en politique.
Je sais que les critiques sont difficiles à entendre, surtout quand elles viennent de l’intérieur. Mais il faut normaliser la critique, même à l’égard des figures médiatiques respectées. La critique ne nie pas la compétence ni la carrière. Elle est nécessaire pour avancer. On ne peut pas évoluer collectivement si on ne peut pas, à l’intérieur même de nos institutions, dire quand quelque chose ne va pas.
Je l’écris avec autant de respect que de gravité : il est essentiel que les journalistes présentent les différents points de vue de manière équitable, surtout lors de débats électoraux. Favoriser ou discréditer injustement un participant peut biaiser la perception du public et nuire au processus démocratique.
Je ne sais pas encore pour qui je vais voter. Mais je crois que collectivement, nous aurions bénéficié d’entendre ce que Jonathan Pedneault avait à dire à la télévision d’État ce soir-là.
Et j’ajouterais ceci : l’indépendance journalistique repose aussi sur la capacité à se défaire de ses propres préjugés, de ses réflexes de caste ou de classe. Dans un média public, cette exigence est d’autant plus cruciale. Dans un média public financé par la population, l’exigence d’équité devrait être non seulement respectée, mais portée en étendard.
La pluralité des voix, l’impartialité réelle, ce ne sont pas des options : ce sont les fondations du lien de confiance entre les médias et le public. Et ce lien, on ne peut pas se permettre de le fragiliser davantage.
J’espère que cette discussion pourra avoir lieu. Pas dans l’opposition ou la défensive, mais dans l’écoute. Parce qu’on peut encore faire mieux.
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